Leonie x noemiche
J’ai connu la boulangerie Leonie grâce à Élie, co-fondateur du supermarché enchanté Miyam. Une sélection de pains est disponible là-bas ! Pour revenir à Léonie, l’entrée arbore des vitraux d’église, c’est coloré et épuré. Une fois à l’intérieur, des tons chauds et boisés, un brin vintage flirtent avec l’ultra moderne. Les pains et les viennoiseries sont illustrés sur une plaque de verre… Une façon originale de découvrir l’offre alléchante de Léonie. Tout donne littéralement envie. Les croissants sont bien dodus. C’est beau à manger ! L’équipe est très accueillante et précise sur le détail des produits. Il y a un petit côté épicerie pour compléter votre panier gourmand : pâte à tartiner, confitures, miels… Les petits plaisirs simples. Dans la panetière, un large choix de pain au levain naturel : tradition française, pain complet, multigraines et graines de courge, vollkornbrot aux fruits, cœur au sarrasin et l’unique Gascon… Le pain préféré du fondateur, un pain du Sud-Ouest qui lui rappelle les tartines de son père.
Ici, le pain c’est sacré. J’ai dégusté religieusement ma chocolatine* et rencontré le serial-baker franco-américain Kamel Saci.
*hommage aux origines gasconnes du fondateur
Le plaisir des yeux
Le mystère est vite levée, Léonie n’est ni le prénom de sa fille (il a un fils, d’abord) ni de sa femme mais simplement le nom de l’ancienne boulangerie qu’il a rachetée. C’était une très vieille boulangerie de quartier (ouverte depuis 8 ans) “J’ai tout cassé et tout refait : le magasin, le laboratoire, l’identité visuelle... J’ai seulement gardé le nom parce que c’est un joli prénom. Ma mère s’appelle Fatma, ça aurait été une toute autre offre (rires) (“vous avez des makroud ?”) Je souhaitais que Léonie devienne un lieu populaire, ouvert et accessible à la population qui vit à proximité, car le pain est la base de la nourriture. Quand on passe devant un commerce et qu’on ne le voit pas - c’était noir, gris et blanc auparavant - on ne rentre pas.”
“Il faut soigner l’esthétique de la boulangerie, le contenu, certes, et le contenant : je fais un pain gustativement très bon, un beau croissant, c’est que je veux faire certes et c’est pour ça que je travaille et que je me lève le matin mais parfois comme les grands magasins ou les grandes marques, c’est bien d’avoir un bel emballage. L’emballage est aussi agréable que le goût ! C’est bien présenté, travaillé, il y a un joli tissu. Il y a un endroit qui est agréable, un jeu de lumière pensé. Pas beaucoup de gens savent faire des boulangeries, l’idéal est de faire appel à un architecte de boulangerie ; il a une bonne patte. Je fais du conseil en boulangerie, j’ouvre pas mal de boulangeries un peu partout et je note que les clients observent davantage le lieu en lui-même” Chez Léonie, il faut donc d’abord regarder de près la boulangerie : la vitrine, la devanture... pour le plaisir des yeux et goûter ensuite aux produits pour le plaisir des papilles.
Le pain à travers le monde
Kamel raconte comment il est tombé amoureux du pain, une histoire d’amour imprévisible : “J’étais un sportif de haut niveau dans l’équipe de France de judo mais pendant mon BTS je me suis blessé au genou et comme on avait pas mal de temps aménagé entre les cours - qui sont devenus des temps de repos pour moi parce que j’étais en rééducation. Alors, j’ai décidé de faire une autre activité à côté. Et j’ai trouvé un boulot dans une boulangerie !”
“J’ai rencontré 2 personnes, je devais faire 2 semaines et je suis resté 18 mois avec eux. C’était merveilleux ! Au départ c’était juste comme ça, j’étais juste content de le faire et un moment donné je me suis dit pourquoi pas devenir boulanger. J’ai commencé à 19 ans et à l’époque, il n’y avait pas de formation de reconversion professionnelle, donc j’ai passé un CAP en candidat libre, que j’ai eu ! Après une formation professionnelle à l’Ile Saint-Louis, je suis monté sur Paris avec d’autres compagnons (ndlr : les Compagnons du Devoir). Je suis resté 5 ans à Paris et après je suis partie à l’étranger : Londres d’abord après l’Espagne et ensuite les États-Unis pendant 12 ans. J’ai fait le tour du monde avec la boulangerie ! Afrique, Amérique latine, Amérique du Nord, centrale...”
“Ces voyages m’ont permis de construire 2 sociétés : 1 société d’import export basée à Miami, je vends des machines aux boulangeries et 1 société de conseil en boulangerie. Chine, Bangkok, Le Japon, Israël, Le Caire, j’ai visité plein de pays pour aider des gens à monter une boulangerie. Chez Léonie, je ramène petit à petit des choses que j’ai vues à travers le monde : le quartier évolue, il est en pleine mutation, il y a un vrai mouvement de jeunesse dans le 17ème ! Alors - tout en écoutant la clientèle - j’introduis de nouveaux goûts, les clients sont réceptifs et curieux : je propose notamment le roulé cardamome, une cuisine à influence méditerranéenne - du Moyen-Orient, beaucoup de végétal aussi, de légumes, une cuisine à la Ottolenghi finalement” Et pour encore plus de surprises, Kamel me confie qu’il ouvre bientôt une deuxième boulangerie, dans le 9ème ! L’idée c’est de reprendre tout ce qu’il a appris lors de ses voyages.
100% fait maison
Chez Léonie, tout est au levain, même les viennoiseries. Plusieurs points sur lesquels Kamel est intransigeant : “1. la fraîcheur, les pains et les viennoiseries sont cuits plusieurs fois dans la journée (la baguette est cuite toutes les 45 minutes - 1h) ; pour les sandwichs, on fait une partie à 11h puis une autre partie à 12h. Fraîcheur absolue garantie ! La viennoiserie est cuite tous les jours, deux fois par jour. Ce qui est très important pour moi c’est d’être honnête envers moi-même. Si j’ai mon fils qui souhaite manger un croissant, je lui donne sans problème. Je sais qu’il est frais, que les matières premières que j'utilise sont premium. 2. les farines sont biologiques, à base de blé issu de la filière Culture Raisonnée Contrôlée (CRC), je travaille avec un petit moulin dans la région nantaise, le moulin de Suire. C’est un tout petit moulin qui fait une farine écrasée à la meule de pierre donc c’est vraiment les techniques anciennes pour faire de la farine, pas de technique moderne ou de tamis où 15000 graines de 15000 pays différents sont mélangés.”
“3. Les produits laitiers viennent d’un laitier qui s’appelle L’or des prés, il faut savoir que tous les laits, beurres et œufs sont extra frais. L’or des prés ne travaille pas sur les volumes mais plus sur la qualité, c’est un peu plus cher que la moyenne mais c’est quelqu’un qui travaille avec de grands chefs : Alain Ducasse, Pierre Hermé, Cédric Grolet… J’ai eu la chance de travailler avec lui et pour moi c’était super. 4. On travaille avec la boucherie Le Bourdonnec dans la rue de Levis (à quelques pas de la boulangerie) et la boucherie Les Jumeaux, aux Lilas. Pour le poisson, la poissonnerie Levis Marée. On travaille localement et avec des artisans, on n'achète pas, on travaille avec le primeur de la rue, il y a d’ailleurs un nouveau primeur, L’Art Potager qui sélectionne pour nous des produits, que des produits de saison, pas de fraises au mois de décembre. Tout est 100 % fait maison, rien au congélateur, on achète rien en produit fini, tous les produits sont des produits bruts qui sont transformés ici”
Pain douceur
Et pour vous, c’est quoi un bon pain ? “Un pain cuit convenablement, fermenté convenablement et pétri convenablement. Rien qu’au visuel, on peut voir si un pain est bon ou pas : son aspect, sa croûte, la brillance, la mie, l’alvéolage, la grigne. Si il n’y a pas une belle levée de grigne, c’est qu’il n’y a pas une bonne fermentation ou que le pain a trop fermenté. Et dans les deux cas, ce n’est pas bon. Et surtout, la douceur, aujourd’hui je ne travaille pas avec un levain agressif au palais, je ne cherche pas l’acidité agressive au niveau des levains, je cherche quelque chose de beaucoup plus doux, je travaille avec un acide lactique, je travaille mon levain d’une certaine façon et ce qui va faire que je vais avoir des pains assez doux.”
"Pour éduquer au bien manger, rien de mieux que la communication verbale, il faut parler, raconter, expliquer à la personne en face de vous. Tout ne s’explique pas que par écrit. Il y a une façon de parler du pain. Tout dépend aussi de l’interlocuteur, certains seront plus amènes de comprendre, il y a différents profils : les connaisseurs, les novices, les habitués… Il faut expliquer que ce qu’ils ont mangé dans le passé ce n'était pas forcément très bon. J’ai beaucoup de clients qui viennent me voir et me disent qu’ils sont intolérants au gluten (il y a d’ailleurs une confusion avec l’allergie) ou des problèmes de digestion. Je leur offre une tranche de pain pour qu’ils goûtent et observent leur état. Mangez une tranche et regardez comment vous vous sentez. On comprend tout de suite les effets négatifs d’un mauvais pain (un pain bourré de levure et d’additif cuit pendant 3 heures). Malheureusement, il y a un critère de prix, ce qui n’est pas qualitatif coûte moins cher mais il vaut mieux 1 bonne baguette que 2 mauvaises baguettes par semaine. Sinon, on se fait mal physiquement. Chez Léonie, il n’y a pas d’améliorant pour la panification, on travaille avec des techniques particulières, des farines anciennes, une bonne fermentation, on contrôle et on connaît nos farines. On sait exactement comment les travailler.”
“Je ne crois pas au meilleur, je crois en la qualité”
Chez Léonie, on ne quitte pas des yeux la petite sélection de pâtisseries, il y a tout ce qu’on aime. Pas de pâtisserie haut de gamme mais plutôt une pâtisserie classique qui va à l’essentiel - une gamme pensée avec un ami à lui qui travaille chez Hélène Darroze : tartes, pâte à choux, brioche, éclair… Kamel est boulanger - tourier, fidèle à ce qu’il sait faire parce que la pâtisserie ne s’improvise pas. L’idée c’est d’en apporter un peu, en étant conscient de son savoir-faire. Chez Léonie, c’est une balade par étapes : viennoiseries, pain, sandwichs, pâtisseries, traiteur. Il faut surtout ne rien rater !
La communication sur les réseaux booste clairement la visibilité et la notoriété de la boulangerie, Kamel est bien placé pour le savoir puisqu’il vient d’un pays où il n’y a que ça ! “Aux États-Unis, le budget communication est énorme ! Néanmoins, je pense qu'on ne peut pas tout miser sur les réseaux sociaux, le décalage entre ce qui est montré et proposé peut être risqué. Aujourd'hui, on est toujours dans cette recherche de compétition constante (Top Chef, Le Meilleur Pâtissier…) et pourtant il n’y a pas de meilleur. On est influencé par notre enfance, nos souvenirs, nos origines et d’où on vient. Un basque comme moi ne va pas avoir les mêmes goûts qu’un alsacien ou qu’un breton parce qu’on vient d’univers différents. Je ne crois pas au meilleur, je crois en la qualité.”
Goûter aux émotions
“Ma reconnaissance passe par le retour des clients qui me disent votre pain, il est magnifique, je n’achète que celui-là, il me rend heureux ! Des gens qui sourient en entrant dans la boutique, qui prennent des sacs de viennoiseries - pâtisseries - pain et qui me disent wow on va se régaler, ça c’est une reconnaissance, ce n’est pas quelqu’un qui va mettre sur un bout de papier : vous avez la meilleure boulangerie même si c’est important parce que dans notre business c’est bien d’avoir la reconnaissance de ses pairs mais malheureusement ce n’est pas toujours vrai ou du moins pas suffisant. Parfois, la cuisine gastronomique ne provoque aucune émotion. Il y a un proverbe chinois qui dit que la cuisine qu’on goûte mène aux émotions du cuisinier. On peut ressentir sa peine, sa haine, son bonheur, son amour tout en goûtant ses plats et quand ce n’est pas bon, on dit qu'il faut parler au chef parce qu’il est malheureux.”
“Oui ça fait plaisir une bonne critique et ça permet de se faire connaître aussi, par exemple via la newsletter Pomelo de Ézéchiel Zerah, food-reporter, c’est comme ça que j’ai pu rencontré Élie d’ailleurs (le fondateur de Miyam). Ézéchiel me connaît parce que je suis passée dans le New York Times, le critique culinaire, Pete Wells, amoureux de mon pain a adoré ce que je faisais et il a souvent parlé des émotions que lui procurait le pain. Il a goûté, je l’ai guidé mais je n’ai pas cherché à le convaincre. Je suis boulanger, je ne sauve pas des vies, j’essaie de montrer ce que je sais faire et de rendre les gens heureux tous les jours. Un journaliste m’avait demandé : c’est quoi une bonne journée pour vous ? Parce que bien sûr il y a des déboires dans la boulangerie comme dans la pâtisserie, on crame, un truc raté, un truc qui ne va pas, on essaie d’ajuster, on est artisan. et je lui disais : une bonne journée c’est arriver un jour et tout réussir : un pain magnifique, ça apaise, ça allège, ça fait sourire et ça nous remplit de fierté, c’est beaucoup de travail, de recherche et d’ajustement.”