Le temps et le pain x noemiche
Chez Le temps et le pain, les pains sont le fruit d’un travail de fermentation remarquable. Le boulanger Alexis Borychowski a recours à une fermentation lente - cette méthode peut durer jusqu’à 24 heures et permet d’obtenir un pain ferme qui demeure fort en goût avec une mie couleur crème. Mais Jamie c'est quoi la fermentation ? La fermentation c'est une transformation d'un aliment par un micro- organisme en absence d'oxygène. C’est ce qu’on appelle les « bons microbes ». L'Homme s'en sert pour 3 raisons : rendre plus digeste, conserver plus longtemps et produire une substance d'intérêt. Les pains d’Alexis ont une croûte croustillante, une mie tendre et pleine d’arômes. J’ai pour ses pains une affection sensorielle parce que le temps les façonne ; ils ne sont pas que de la matière première, le temps fait partie intégrante de leur composition.
Au départ, Alexis est informaticien. Pourtant à 40 ans, il se lance dans l’aventure entrepreneuriale pour créer quelque chose qui reste : un projet concret, sensé et enrichissant. Bingo ! Il passe par le parcours “classique” d’un CAP Boulanger au sein de l’école Ferrandi et fait un peu de recherche fondamentale pour essayer de comprendre tous les mécanismes de fermentation. Pain après pain, il enforme un pain qui lui ressemble. Un pain fonction du temps. Le Temps et le pain ouvre en 2018. "Comme dans mon ancien métier d’informaticien, j’ai analysé et géré tous les paramètres de l’équation pain avant de me lancer et travaillé sur le temps, la température, les ferments, le levain et la farine. En boulangerie, on gère du vivant."
Les ferments sont nos amis pour la vie
Chez Le temps et le pain, Alexis est le maître du temps. “Si je pars du levain, il me faut à peu près 16 heures pour qu’il prenne vie puis il me faudra en moyenne 5 heures pour pouvoir refaire une fermentation à température basse et cela va prendre encore 12 heures soit 24 heures en tout pour préparer un pain. On est vraiment que sur un élevage de ferments maison. Et pour y arriver il ne faut pas qu’on sacrifie le temps, on a besoin du temps pour que le réseau se construise tout seul. J’essaie de développer des arômes lactiques avec le moins d’acidité possible. Aussi, à chaque saison, selon les températures, les goûts seront différents.”
“Quand j'ai mis le pain à la bouche pour la première fois, c'était quelque chose de sismique pour moi : il s'est produit une espèce de rush, avec des arômes de fleurs, de fruits, des notes de cerises noires et un peu de patate douce.” (Steven Kaplan)
“Le week-end, je fais un pain à la levure sauvage : les levures sont présentes partout dans notre environnement, sur les plantes, les fruits, et les légumes. Cette méthode asiatique consiste à capter les levures dans de l’eau et à faire fermenter cette eau. Une fois que les levures se sont développées, on va filtrer l’eau et la mettre en bouteille et on va continuer à température basse à faire une fermentation anxiogène c’est-à-dire qu’il n’y a plus d'oxygène et cela va favoriser le développement des levures. Par rapport à mon levain qui est “éduqué”, les levures sauvages sont indomptables et les résultats imprévisibles. Ça a tout son charme, parfois vous avez des résultats incroyables et parfois c’est moins bien.”
“Dans l’industrie, ils ont une souche bien précise, le saccharomyces cerevisiae (ou levure de bière, levure de boulanger), une levure ultra performante mais qui n’apporte rien au pain ; alors qu’il y a tellement de variété de levure qui existe dans l’air, différentes selon les régions, sur un fruit ou une plante ; vous n'avez pas un microscope pour les analyser donc c’est tout le temps une surprise. Je préfère juste faire exprimer la farine et les ferments et limiter le plus possible les combinaisons inutiles. Ce qui va vraiment définir le goût, ce sont les ferments que vous allez apporter.”
Sans levures, le pain n’existerait pas
Alexis n’est pas un ayatollah du pain. Pas de principes fondamentaux, ni de dogmatisme. Chez Le temps et le pain, des pains sont pétris et d’autres non, certains avec du levain et d’autres avec de la levure sauvage. Toutefois, la farine biologique lui est indispensable car il utilise des ferments assez sensibles. Il maximise ainsi ses chances de réussite pour pour qu’il n’y ait aucune interférence - aucun intrant chimique - avec les micro-organismes. Le biologique n’est pas ici une question de principe mais davantage de technique.
La baguette a-t-elle toujours sa place ? La baguette est enfant de la société industrielle. En France, sans doute, le premier pain qui ne se conserve pas et qui oblige à revenir chaque jour chez son boulanger. Heureusement, le temps est encore une fois le remède des fanatiques de la baguette (autrement appelé les Français). Alexis nous donne son secret pour des baguettes digestes qui se conservent bien : 8 heures de préparation et deux méthodes combinées, d’un côté l’ajout du levain pour apporter des arômes et d’un autre côté une poolish pour des raisons techniques (pour le boulanger) et organoleptiques (pour le consommateur).
À la différence du levain, la poolish est liquide et démarre avec de la levure, dont la quantité varie en fonction du temps de fermentation et de la température du local.
Une passion expérimentale
Passion, qualité et expérimentation. 3 mots qui définissent Alexis. “Tout d’abord, la passion est indispensable pour faire ce métier. Deuxièmement, la qualité ; particulièrement lorsqu’on se reconvertit, on veut faire le meilleur possible et à chaque fois progresser, trouver des nouvelles idées et des nouvelles méthodes de fermentation. En troisième lieu, l’expérimentation parce qu’il faut bien s’amuser, casser la monotonie et évoluer avec son temps. C’est un métier physique, difficile et répétitif, il y a une pénurie de main d’œuvre et pour cause la boulangerie industrielle, standardisée. Certains boulangers appliquent les recettes du moulin, avec une farine spécialisée qui contient déjà toute la combinaison de blés. La passion et la richesse des savoirs-faire se transmet moins. 90% des boulangeries en France n’utilisent pas de levain, seulement de la levure. Le pain n’est pas leur priorité. Cela abime malheureusement l’image de la profession et dissuade les apprentis.”
“J'aime la réalité, elle a le goût du pain” (Jean Anouilh)
Alexis est donc à la recherche du bon pain. Un pain qui se conserve, un pain qui a une identité, qui a des arômes et qui n’est pas acide. Selon la typologie de la farine, pour un pain de campagne, par exemple, il doit être bien alvéolé, avec du volume et pour d’autres pains - le Khorasan - une mie plus serrée. Ce n’est pas la même structure, ce n’est pas le même gluten. Avant tout un bon pain c’est un pain qu’on mange comme cela, on le grignote, on le picore, on le dévore sans plus attendre, bref on l’adore tel quel. Pour obtenir un super pain, Alexis affine ses recettes en traçant tous les éléments de la chaîne de production : farine, température, temps de fermentation, aléas… 365 jours dans l’année, chaque pain est unique. Alexis apprécie leurs différences. Le pain avec ses imperfections, le pain vivant.
Les enfants, les meilleurs bêta-testeurs
La boulangerie - pâtisserie a évolué ces dernières années dans un environnement très créatif avec des concepts et des idées propres. Chez Le temps et le pain, les panivores et les becs sucrés cohabitent à merveille. Comment ne pas évoquer les chefs pâtissiers, en résidence Ophélie Bares et Grégory Doyen. Sans oublier, Ludovic Fontalirant (au début de l’aventure) et Carolina Bravo (actuellement) qui ont contribué à la construction et renommée pâtissière de la maison. Tous ont affirmé leur originalité et savoir-faire. “Avec Carolina, on crée une nouvelle carte avec des pâtisseries travaillées mais plus simples et réconfortantes. Des pâtisseries pour les enfants qui évoquent l’insouciance et la joie de vivre. J’aimerais que lorsqu’un enfant goûte à l’une de nos pâtisseries, il s’en souvienne tout sa vie, qu’elle devienne sa madeleine de Proust, un éclair inoubliable ou une tarte mémorable.”
“Proposer des produits sains et simples et c’est déjà gagné. La vie ordinaire et les petits plaisirs de la vie sont des terrains de jeux : un croissant bien travaillé, un pain au chocolat gourmand et des très bons cookies. Les enfants n’ont pas besoin de complexité. Pour le pain, je prends l’exemple de mes enfants, ils ne peuvent pas manger autre chose que mes pains, ça ne leur fait pas plus plaisir quand j’apporte du pain de la boulangerie, ils se coupent des tranches et se jettent dessus comme une friandise. Il n’y a pas besoin de leur expliquer grand chose ou de leur dire c’est bon pour toi, ils le savent et s’en souviennent.”
Quel pain pour demain ?
D’après Alexis, demain, la “triche” ne sera pas de mise. “Le pain d’aujourd’hui si il n’est pas digeste c’est à cause de la course à l’ultra performance, il faut que tout soit le plus performant possible de la filière agricole au meunier, du meunier au boulanger, il faut que tout se fasse le plus possible et plus vite possible sans avoir de pertes et le blé a été modernisée pour répondre à ce cahier des charges mais en retour ça affecte la santé et le plaisir aussi. Le pain du futur c’est un pain bien travaillé sur toute la filière, que ce soit le meunier, l’agriculteur jusqu’au grain de blé, que l’on prenne des variétés pas que performantes, il faut qu’on arrive à jouer avec l’intelligence humaine pour arriver à faire un pain intelligent et que la réflexion se fasse dès la sélection du grain de blé. Par conséquent trouver un bon équilibre pour proposer un pain bon et digeste, pas mauvais pour la santé et l’homme.”
Le mouvement est en marche, Alexis peut compter sur les boulangers de sa génération. Il admire leur goût du risque et liberté d’entreprendre “C’est ça qui va permettre d’élever les boulangeries : une disruption de la profession. Les nouvelles boulangeries mettent un coup de pied dans la fourmilière et font les choses différemment. La boulangerie Sain est aux antipodes de la boulangerie Bo&mie et tout deux proposent de très bons produits. Il n’y a pas un modèle absolu qui peut être considéré comme la meilleure boulangerie de France, il y a une clientèle pour chacun.”