Sain x noemiche
J’étais impatiente de rencontrer Anthony Courteille ! C’est un grand mangeur de pain très souriant ! Diplômé en boulangerie et pâtisserie, devenu cuisinier en Angleterre puis formé chez Alain Dutournier et Guy Martin, Anthony affiche une triple compétence qui le rend si curieux ! Dans son ancien restaurant Matière à, il retrace méticuleusement l’ADN de ce qu’il a appris auparavant : le pain est au centre de la table, valorisé et regardé avec attention (En Occident, le pain est un aliment de base hautement nutritif ; en Asie c’est le riz). Le pain est fait maison, servi dans une petite assiette avec un beurre artisanal. “Il y a une manière de manger le pain, comme un amuse-bouche” : Anthony a très vite compris que ce serait ce pain serait son gagne pain. La boulangerie Sain a remplacé Matière à et est vite devenue la boulangerie du Canal Saint-Martin. Il ne manquait plus qu’elle dans le quartier !
SAIN c’est l’acronyme de Saveurs d’Antan Ingrédients Naturels. 4 mots qui sonnent comme une évidence quand on découvre l’histoire de la boulangerie Sain ! Rencontre.
Un pain qui a une personnalité
Sain c’est sain. Mais pourquoi ? “Depuis une vingtaine d’années, le pain est décrié : il n’est pas bon pour la santé, fait grossir et la bête noire c’est le gluten. Et effet, avant d’ouvrir Sain, je trouvais que l’offre de la boulangerie manquait de personnalité de manière générale - à Paris. D’une boulangerie à une autre, on retrouvait un peu les mêmes choses, aussi bien pour le pain que pour les viennoiseries Quelques-uns sortaient du lot mais je n’avais pas un engouement pour me dire je vais aller là parce que c’est trop bon. Je me suis donc penché sur la manière dont la boulangerie avait évolué et j’ai constaté qu’il n’y avait plus de réelle différence entre la boulangerie industrielle, un artisan et une boulangerie de grande surface.”
“C’était bien de repenser la manière dont la boulangerie a pris sa place dans le paysage parisien. Les produits utilisés, les méthodologies appliquées et refaire quelque chose en adéquation avec l’ère du temps. Ce n’est une mode mais une demande des clients de manger des bonnes choses qui soient saines. Mon parcours de cuisinier fait que je suis très à cheval sur le sourcing, les matières premières qu’on choisit, on vérifiait tout : les tomates, les homards, les poissons, la fraîcheur… Et surtout il n’y a pas de bon pain sans bonne farine - chez Sain, les farines sont issues de céréales paysannes locales - Sain est né de ce constat. Sain pour dire : on peut manger du pain qui est bon, on peut se faire du bien, se faire plaisir sans forcément culpabiliser parce que le lendemain on va avoir mal au ventre…”
De gène en gène
“Il faut savoir que la boulangerie artisanale a été un peu victime de l’industrie agro-alimentaire et que la boulangerie est un métier difficile. Les commerciaux qui travaillent pour ces groupes agro-alimentaires ont vendu pleins de produits semi-préparés. L’argument de vente était : tu vas voir avec ça tu vas peut-être avoir besoin de moins de salarié, tu vas peut-être moins travailler et tu seras rentable. Forcément, on vous propose ça vous vous dites “cool”. Alors, il n’y a plus de personnalité, plus de caractère, tout est pareil. Je préfère travailler avec des ingrédients naturels c’est-à-dire des vrais œufs, de vrais sucres, pas de pectine, pas de produits pour faire briller. Je préfère avoir des trucs moins brillants, moins appétents visuellement mais qui ont du goût et être certain que ça vous fasse du bien.”
Anthony est à la recherche du pain d’autrefois, son pain est un concentré de souvenirs, il essaie de retrouver les goûts de son enfance, les vrais saveurs. Quand il était petit, il avait un oncle boulanger. Son grand-père aurait voulu être boulanger mais ses rêves ont été contrariés par la guerre. Ses parents étaient agriculteurs (en Mayenne), et comme beaucoup, ils ont été victimes de l'agriculture de rendement pendant l’industrialisation. Anthony a voulu prendre le contre-pied de ces années-là. Il se souvient des réunions de famille, des retrouvailles au fournil le dimanche matin : “Tu manges un croissant, tu as toutes les odeurs qui sont très appétissantes quand tu es un enfant. Je vois bien le regard des enfants quand ils viennent à la boulangerie, ils de disent “tout se mange” ? J’avais le même regard que ces enfants et en plus j’avais le droit d’aller au fournil ! J’ai touché la pâte à brioche quand j’avais 4 ans.”
95% bio
Anthony travaille un maximum avec des produits bio “On est à 95% bio ici. C’est pour nous, pour notre santé mais aussi pour la santé de la terre et du sol. Pour que ça soit bien régénéré et qu’il y a ait pas tout et n’importe quoi qui soit mis dedans. C’est aussi essayer de valoriser une autre forme d’économie pour que des agriculteurs en vivent. Quand c’est bio, ils cherchent des solutions qui sont plus en adéquation avec la nature pour pallier certains pesticides, ils vont mettre plus d’abeilles à certains moments, plus de coccinelles ; ainsi essayer de travailler en accord avec tous les éléments qui sont autour de nous. C’est une forme d’investissement.”
“L’intolérance au gluten - les problèmes de digestion viennent des blés modernes, modifiés. À la base le taux de gluten dans un pain est entre 7 et 9% sauf que maintenant dans les blés modernes dits conventionnels, le taux s’élève à 13 - 15% de gluten - pour une baguette blanche. On a changé les blés pour industrialiser le pain, pour faire une production beaucoup plus intensive, plus rapide. C’est plus du tout le blé originel, l'intérêt d’un pain aussi riche en gluten sert l’industrialisation. Il faut imaginer aussi que le gluten c’est le muscle de la pâte, c’est un peu comme si on piquait le grain de blé au gluten. On se retrouve avec des pains très gros, volumineux avec une croûte très fine alors que derrière ça n’a pas trop de goût, c’est un peu insipide.”
Ingrédients naturels
Les incontournables de chez Sain : “il faut tout goûter ! Le croissant, le pain et le pain cuisiné aussi. Comme un cuisinier, je propose une carte de pain en accord avec la saison. On (attention pas tous) a un peu oublié que la tomate c’est en ce moment c’est pas au moins de décembre, la courgette c’est en ce moment, l’aubergine c’est le début, c’est pas en plein mois de janvier. Le problème c’est qu’on sait plus tout ça ! Regardez dans les rayons des grandes surfaces, il y a de la courgette tout le temps, il y a des aubergines tout le temps, des tomates…
EN COURS DE MODIFICATION
Pour la viennoiserie aussi. Les cakes. Les ingrédients sont naturels, de la farine au sucre. J’utilise des sucres non raffinés c’est-à-dire souvent extraits à froid et donc avec un indice glycémique plus bas.”
“Parce que quand tu prends un sucre raffiné, le sucre blanc, c’est vraiment un shot de sucre comme une baguette blanche. Suivant les produits, on utilise du sucre rapadura, de canne et tous ces sucres là sont vraiment bruts et on des goûts très particuliers et ici on fait plein de mélange de ces sucres-là pour apporter aussi une personnalité aux produits qui sont vendus. On fait des mélanges de farines pour apporter une personnalité au pain et c’est comme un miel, tu goûtes différents types : acacia, châtaignier c’est du miel mais suivant la plante butinée par les abeilles, le goût est vraiment différent. Je trouve que c’est intéressant d’utiliser le sucre comme quelque chose de gustatif et pas comme comme quelque chose qui va apporter du sucre, un véritable ingrédient et on travaille aussi la viennoiserie avec des levains de lait”
Être curieux
“Bien manger c’est se renseigner, ne pas acheter des produits industriels et ne pas écouter ses pulsions. Bien manger c’est aussi éduquer au goût : il faut faire découvrir pleins de trucs aux enfants, leur faire goûter à tout ! Faire cuisiner les enfants avec les parents pour qu’ils aient envie d’un produit. Et en les faisant cuisinier, vous allez les faire manger et en même temps ils apprennent à connaître les produits. Il faut être curieux, avoir une alimentation diversifiée (pas des pommes de terre tous les jours), apprécier de manger plein de choses. Dans mon enfance, j’ai été marqué par pleins de mets : je me souviens de mon premier canard à l’orange, c’était délicieux. Ça peut paraître étonnant parce qu’on n’a pas besoin de cuisiner mais j’aime beaucoup les huîtres, j’en mangeais quand j’étais petit aussi. C’est vraiment le truc quand je ne sais pas quoi manger, je vais acheter des huîtres, peu importe l’heure ! J’adorais aussi le café, l’éclair au café et le Paris - Brest étaient mes desserts préférés. Il est 18h et je suis encore en train de boire un café, j’aime bien ce goût”
Un pain durable, une boulangerie engagée
“Le pain de demain est un pain durable, au plus proche des agriculteurs. Un pain qui permet de les payer à leur juste valeur. Que le prix du pain soit défini pour les agriculteurs, qu’ils puissent vivre décemment de leur production. Un pain au juste prix. La démarche de vendre les produits moins chers persiste, tu peux le voir dans toutes les grandes surfaces, c’est toujours -5%, 3 achetés pour le prix donc forcément on dévalue le produit, on dévalue la matière première, l’humain qui travaille. J’essaie de changer la donne, je paie 2,40 € le kg de farine, je sais que l’agriculteur en vit. Je sais que derrière je peux vendre mon pain à un prix qui me permet de vivre et faire vivre”
“Je souhaite inverser le système économique en place depuis pas mal de temps : on vend la baguette 1,95 ≠ 1€ (boulangerie traditionnelle) sauf que derrière la baguette est faite avec des blé anciens (pas du tout les mêmes blés que les gens ont l’habitude de manger, c’est un agriculteur qui me vend sa farine). Je ne peux pas la vendre moins cher qu’un euro. il y a toute une démarche éthique que je défends. cette baguette a un goût particulier que j’essaie de valoriser alors ça coûte ça. Si je consomme ça, je sais exactement que quelqu’un va en vivre. L’acte d’achat ne passe pas uniquement par des bulletins de vote, c’est nous en tant que consommateur qui votons à chaque fois qu’on va acheter quelque chose où il y a une éthique qui est correcte, ça peut être un moyen de voter. Mieux vaut manger 2 bons croissants un peu plus chers par semaine que d’en manger 1 par jour que tu achètes 60 centimes, pas bon, à ce prix-là tu n’as pas de beurre, tu as de la margarine, tu as pleins de choses suspectes. Sur le long terme, 1 croissant par jour à 60 centimes, tu vas avoir des problèmes de santé. Penser la consommation autrement, donner de la valeur à ce qu’on consomme et ce qu’il y a derrière.”
Je travaille des saveurs d’antan avec des méthodes de travail anciennes, remises au goût du jour : le levain, le pétrissage à la main, des blés anciens et une fermentation naturelle.