Pains x noemiche
Pains, c’est Vanessa Dezallé, situé dans le 19e arrondissement. Une micro-boulangerie de quartier conçue pour confectionner et vendre des produits de boulangerie 100% biologiques, au levain naturel et avec des fermentations longues. Des pains avec une croûte bien épaisse, une délicieuse odeur de blé et de levain et une mie gouteuse et aérée.
Et si on allait voir de plus près ? Et si le pain était le lien des cités - au sens politique du terme ? Une affaire collective. C’est bien cela l’éthique de Vanessa ; le pain comme trait d’union des hommes. Une histoire qu’il ne faut pas raconter tant elle devrait être ordinaire et pourtant. Si je pouvais parler du pain aux variétés anciennes de Vanessa, à la manière de Francis Ponge dans Le Parti pris des choses, je dirais : “ce que j’aime le plus chez toi c’est ton odeur, tu sens la terre, les herbes, les jardins, un peu plus l’humain que les autres” (Extrait de : Rupi Kaur, Lait et miel) .
Révolution boulangère
Le pain n’a pas toujours été un ami du quotidien pour Vanessa. En quelques décennies, le tournant industriel du XXᵉ siècle a marqué une rupture avec l’histoire plurimillénaire des rapports de l’humanité aux céréales. Le pain s’est retrouvé dans l’impasse nutritionnelle, écologique et sociale de l’industrie boulangère. Que faire ? Emprunter un chemin de traverse pour y faire face. Changer l’agriculture et sa place dans le monde. Cultiver des semences paysannes et ainsi retrouver l’adaptabilité, la diversité génétique, la maîtrise paysanne de la sélection des blés et les faibles besoins en intrants chimiques. Une révolution boulangère agite actuellement toute la filière.
Un pain qui ne se contente pas d’être bon, mais aussi digeste et nutritif. Un pain vivant. Un pain qui nous rappelle qu’il est le fondement de nos civilisations. Un pain qui répond à nos propres besoins. Ce pourrait-il qu’il existe un pain universel et que nous soyons responsables de son évolution ? Assurément. Mon royaume pour les pains de Vanessa (et sa brioche) qui sentent bons les défis relevés. Vanessa utilise des farines d’une qualité exceptionnelle faite avec l’enveloppe du blé, T80 (farine bise ou semi-complète), T110 (farine complète) et T150 (farine intégrale).
Comment distinguer les différents types de farine ? “une méthode scientifique de calcul s’est imposée progressivement au cours du XXᵉ siècle : il s’agit de faire brûler un échantillon de farine à très haute température (900°C) dans un four, puis de mesurer la quantité de cendres produite. Plus il y a en a, plus la farine est complète. Par exemple, T80 = 0,80 % de taux de cendres pour 100 grammes de matière sèche (Le groupe blé de l’ARDEAR, Notre pain est politique)
“Les enveloppes sont riches en fibres, en minéraux et en oligoéléments et forment l’essentiel du son une fois séparées du reste du grain. Le son procure plus de qualités nutritionnelles à la farine et lui donne plus de goût, ce qui peut-être vu comme un avantage si on cherche un pain goûteux […]” (Le groupe blé de l’ARDEAR, Notre pain est politique)
Un lien social
“Tous les ingrédients sont biologiques et achetés auprès de producteurs que j’ai rencontrés. Les blés viennent du moulin de Colagne. J’ai surtout appris aux côtés de Stéphane Marou (ndlr, son mentor) un grand boulanger à Azillanet, un petit village au cœur du Minervois ; il est la définition même de l’artisan : une personne qui maîtrise un savoir-faire et le déploie dans son travail. Tout l’art de la boulange réside d’ailleurs dans l’alternance de la pâte au travail et de la pâte au repos ; Le temps, les produits de haute qualité et le travail de la matière (le feu, le bois…) forment un tout. La mairie a construit un fournil à partager pour que son projet Le Pain Levain puisse perdurer. Stéphane fait partie d’un groupe de boulangers militants qui pensent que la panification doit se partager et ne doit pas être un monopole.”
L’alimentation durable c'est l'ensemble des pratiques alimentaires qui visent à nourrir les êtres humains en qualité et en quantité suffisante, aujourd'hui et demain, dans le respect de l'environnement, en étant accessible économiquement et rémunératrice sur l'ensemble de la chaîne alimentaire (Ademe, l’agence de la transition écologique)
“Mon engagement s’exprime à travers une démarche militante. J’étudie chaque maillon de la chaîne alimentaire pour créer un écosystème vertueux autour des blés. : le moulin (et ses valeurs), la boulangerie (une structure à taille humaine), les artisans-boulangers (qui travaillent le jour) - les pains sont pétris à 6 heures et vendus à 16 heures. La question sociale est essentielle. Il ne suffit pas juste du faire du pain au levain pour que les gens soient en bonne santé.”
Choisir sa boulangerie en connaissance de cause
Qu’en est-il du plaisir, de la fabrication et du dialogue de la main de l’artisan et des matières premières ? La réponse ne doit pas vous retourner le ventre. Un bon pain se décrypte : au moulin de Colagne, par exemple, les blés de terroir sont broyés à l’ancienne par des meules en pierre de silex d’origine. Résultat, les farines ont un très bon comportement en panification : la mie est bien alvéolée, sa saveur typique et agréable. Les pains de Vanessa se révèlent être une forme de luxe mis à disposition de tous. “J’avais rencontré un jeune homme en stage qui travaillait au Plaza Athénée et vu les volumes que je fais et la qualité des matières premières, je ne dois pas être loin de la qualité d’un palace parisien.”
“J’ai goûté le pain du Sud, je n’avais jamais gouté un pain qui avait autant de saveurs et j’ai compris très vite pourquoi en discutant avec le boulanger local. Les artisans de la région sont très exigeants sur les manières de faire : l'approvisionnement des blés et la technique d'écrasement ancestral à 100% sur meule de pierre naturelle de silex qui contribue à la mouture de farines de qualité. J’écoute leurs récits d’expériences et dans le même temps mes yeux balayent la pièce, toute cette infrastructure mise en place est un véritable boulot d'ingénierie. Quant au reste des matières premières, cela fait des années que j’essaie de m’alimenter le mieux possible en regardant les étiquettes et en me posant mille questions sur tout ce que je mange et j’essaie d’appliquer la même rectitude pour ma boulangerie.”
La vie au fournil
“Le fournil demande beaucoup d’énergie, porter son projet tout en étant son propre porte-parole s’avère être une tâche ardue. Les journalistes agrémentent, expliquent et traduisent notre philosophie en nous rencontrant et vérifiant comme des sémiologues de terrain. C’est là où nous sommes complémentaires. Parfois on me dit que l’agriculture biologique n’existe pas et je n’ai pas le temps de faire ce travail de pédagogie, de mener un débat avec mes clients. Je le sais : il y a une différence entre les blés qui grandissent sans aucun pesticide et des blés de laboratoire blindés de produit où il y rien de vivant à l’intérieur. À force de publier des articles peut-être que les gens seront mieux informés et plus conscients.”
“Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues” (Le jeune homme, Annie Ernaux)
Certains s’emparent du sujet du pain comme d’un palimpseste. Il y a de sacrés détours et réécritures. Par chance, Vanessa réhabilite ce pain qui nourrit, qui se garde et se partage. Avec une traçabilité et des matières premières au-dessus de tout soupçon. “Mais je ne serai pas celle qui cherche à convaincre chaque client qui passe ma porte. Je réponds volontiers à ceux qui m’interrogent et je laisse aux journalistes le soin de montrer aux autres le chemin du bon pain. Beaucoup de mes clients viennent parce que c’est bon et c’est déjà très bien. Le bouche à oreille ne vieillit pas et la vie vient naturellement au fournil.”
De l’odeur à l’émotion
“Je pense souvent à ce souvenir d’école : je suis en maternelle et j’apprends à fabriquer du pain ; je me souviens de l’odeur incroyable de cette pâte et c’est ça que j’essaie parfois de retrouver. On sentait le pain systématiquement et encore aujourd’hui, je continue à le faire” Peut-être que Vanessa réussira l’exploit de rassembler ses réminiscences. En attendant, ses pains nous plongent dans une toute autre enfance, on dérive d’un temps à un autre. Ils sont tous différents, il faudrait venir chaque jour pour tout goûte et ne rien rater. Les blés et, par conséquent, les arômes sont variés, chacun a une identité. Si on mange du petit épeautre, on ne peut pas passer à côté des blés anciens. Il faut goûter le pain / les pains comme l’indique si bien le nom de sa boulangerie. Et la (divine) brioche aussi.
“Chaque jour ne se ressemble pas. Il y a des jours où je produis un peu plus, un peu moins. Il y a quelque chose de très intéressant en boulangerie quand vous voulez préparer le concours de Meilleure Ouvrier de France, ce qui prime c’est la régularité, comme si l’homme devait dépasser la machine et moi je ne crois pas du tout à ça parce qu’au contraire il faut jouer avec ses émotions, on ne pourra jamais être régulier, un jour il fait chaud ou on a mal dormi. Il faut prendre en compte toutes les circonstances et les mettre dans notre travail, on compose avec l’extraordinaire et l’ordinaire.”
Écologie de la filière blé - farine - pain
“En ce moment, on parle beaucoup de problème d’énergie, ici, je fais du pain sans chambre de froid et sans climatisation c’est-à-dire que je joue / jongle avec les éléments et les températures. J’ai ouvert il faisait -4 degrés et cet été 40 degrés dans le fournil. Le pain de demain c’est un pain qui consomme peu d’énergie, À l’école de boulangerie, on apprend - à tort - qu’un bon four c’est un four qui a beaucoup d’inertie, c’est-à-dire que la sole - la partie où tu poses ton pain - est très épaisse, à l’époque c’était bien mais ce four, c’est limite si on ne doit pas venir dimanche pour qu’il soit prêt lundi. Maintenant les constructeurs de four font des soles plus fines et réactives, on monte et descend vite en température. On peut dire que chez Pains, le pain est écologique.”
“Pour préparer le CAP boulangerie, j’ai fait mes gammes chez Cyril Lignac et Benoît Castel. Juillet 2021, diplôme en main, je pars réapprendre le métier de boulanger. Depuis la Seconde Guerre mondiale tout a été construit pour atteindre des objectifs de productivité et rentabilité, or, la boulangerie que moi je défends à travers notre Pain est politique et l’enseignement que j’ai reçu des paysans-meuniers-boulangers, c’est l’inverse, on pose comme principe la protection de la biodiversité, la santé publique et le bien-être au travail et ensuite on développe la boulangerie. Manger un bon pain implique de se poser ces questions fondamentales : Qui ? Quoi ? Comment ? Combien d’énergie est consommée ? La boulangerie conventionnelle et cette expérience responsable du pain sont antinomiques et incompatibles.”